Tu fais alliance. C’est un terme riche, politique. A partir du moment où tu te relies avec quelque chose, des êtres, des importances, tu te relies avec. Je vois bien que le fait de me relier à une certaine partie de mon histoire, choisir de répondre à des lignes et des lignées qui nous composent, cela transforme profondément l’agencement intérieur, mais aussi avec l’extérieur : je et nous ne pouvons plus être indifférent.es – je suis interpelée, je ne peux plus être détachée, la tentation de l’ignorance explose en mille morceaux.
337.
J’essaye de prendre encore soin de la relation au moment où j’écris, de sortir du mode extractiviste de la recherche qui prend des données et qui en retire une valeur déconnectée de celles des acteurs rencontrés, ou hors contexte. La donnée se décontextualise pour se recontextualiser dans la capitalisation scientifique et dans des valeurs épistémiques : des cadres théoriques, scientifiques et méthodologiques qui assurent une robustesse du traitement et de l’analyse. Je refuse cela si c’est au détriment du soin.
336.
Si le lien t’importe tu l’entretiens, sinon il se délite. En faisant alliance… si cela importe, tu en prends soin d’une certaine manière. C’est ce lien-là qui est impossible à défaire « simplement » ou alors cela signifie que tu ne t’engages pas, que tu prétends à l’innocence, à partir du moment où tu fais importer quelque chose, il faut en prendre soin. Sinon, tu n’es pas innocent dans sa dégradation. Si cela t’importe et que tu n’en prends pas soin, tu es co-responsable de la dégradation.
335.
Pourquoi effaçons-nous celles et ceux qui nous ont permis de penser ? Celles et ceux dont on ne citera pas les articles, parce que l’interaction s’est faite sous d’autres formes. Nous pensons dans l’inter, nous existons à l’intersection[1], jamais seul.es, mais dans l’interdépendance. Une thèse aussi c’est de l’interdépendance. Où est-ce que cela apparaît, où est-ce lisible, pourquoi l’effaçons-nous au-delà des remerciements ?
[1] Barad, Karen, 1997. “Meeting the universe halfway: realism and social constructivism without contradiction”, in Nelson, Lynn Hankinson; Nelson, Jack (eds.), Feminism, science, and the philosophy of science, Dordrecht Boston: Kluwer Academic Publishers, pp. 161–194 ; Barad, Karen,1999. “Agential realism: feminist interventions in understanding scientific practices (1998)”, in Biagioli, Mario (ed.), The science studies reader, New York, New York: Routledge, pp. 1–11.
334.
La question des attachements, les manières de se relier, de se positionner sont les coutures du travail engagé en thèse, que je formule aujourd’hui différemment : comment est peuplé le rapport aux sciences des doctorant.es en biologie – par quels actants ? Avec quels mondes viennent-ils à ma rencontre ? Comment écouter, se laisser toujours par leurs importances ; comment les entendre et se relier à ce qu’ils et elles convoquent sans imposer les miennes ?
333.
J’ouvre les fenêtres
Je choisis de rester dehors
J’écoute les bruits, les sons
Je me souviens de l’air
A quoi prêtons-nous attention ?
332.
Que faisons-nous exister ? Nous revenons à la question de la non-innocence. Que faisons-nous exister dans la manière dont nous regardons le monde, dans la manière dont nous nous y relions, dans la manière dont nous posons nos questions ? Vous avez compris à quel point c’est emboîté : il est question de relation et d’alliances – c’est une question politique et écologique. Notre manière de nous relier est une question profondément écologique.
331.
J’ai un problème de cohérence entre le fond et la forme. Dans mon manuscrit de thèse, je ne parle pas des conditions matérielles de son élaboration, je n’explicite pas la manière dont je me relie à mon sujet, je ne raconte pas mon expérience vécue de la thèse qui se construit au contact de celle de mes « enquêté.es ». Je suis une doctorante qui travaille « sur » l’expérience des doctorant.es mais je ne raconte pas ma propre situation de recherche.
330.
A chaque étape de ce que nous faisons dans nos enquêtes, en cela que nous agissons avec le monde, avec qui sommes-nous en relation ? Lorsque je retranscris les entretiens, est-ce que je suis encore en relation avec le doctorant ou la doctorante ? Ou est-ce que je suis déjà en relation avec mes collègues chercheur.es qui vont jeter un œil dessus ? Avec qui suis-je en train de parler ? Avec qui je suis en conversation ?
329.
Je travaillais avec le vivant, avec des xénopes. Je revenais au laboratoire le samedi matin, les xénopes avaient pondu et les œufs arrivaient aux stades qui m’intéressaient pour faire mes « manips ». Donc le Xénope structurait mon rythme, ma vie professionnelle et personnel. Quand Haraway travaille et fabule avec l’oncomouse, elle nous fait sentir l’interdépendance entre la chercheuse et l’animal, nous sommes inter-reliées.